Julie Pinsolle[1],
Sylvain Bordiec[2],
Margaux Aillères[3],
Reçu : 12 juillet 2021
Accepté : 15 novembre 2021
Résumé
Mandaté par une agence gouvernementale française pour effectuer une recherche nationale sur une politique publique récemment instituée, à savoir les « Cités éducatives », notre collectif pluridisciplinaire a effectué huit monographies à visée comparative. A partir du récit analytique de la construction méthodologique de cette recherche, l’article examine ainsi l’usage de la monographie comparée pour comprendre l’administration de l’éducation territorialisée contemporaine. La réflexion se structure autour de la tension inhérente à cette option méthodologique. Elle restitue, dans un premier temps, le pari de la richesse qui a justifié son choix, et les modalités de sa mise en œuvre : les monographies comparées permettent de construire une approche non seulement processuelle mais aussi relationnelle de politiques publiques en cours de déploiement et qui se présentent comme partenariales et territorialisées. Comme propose de le développer l’article dans un second temps, cette richesse n’est pas exclusive de risques d’appauvrissement inhérents d’une part à la standardisation des opérations d’enquête qu’impose la perspective comparatiste et, d’autre part, à la rencontre entre la comparaison scientifique et celle qui se déploie au croisement du domaine éducatif et des politiques publiques. L’article restitue ainsi les précautions nécessaires pour composer avec ces risques.
Mots-clés
Monographie comparée, politique publique, territoire, éducation.
Abstract
Commissioned by a French government agency to conduct national research on a recently instituted public policy, named the "Cités éducatives", our multidisciplinary collective conducted eight monographs with a comparative focus. From the analytical account of the methodological construction of this research, the article examines the use of comparative monographs to understand the administration of contemporary territorialized education. The reflection is structured around the tension inherent in this methodological option. First, it restores the richness that justified this choice, and the modalities of its implementation: the comparative monographs allow us to construct an approach that is not only processual but also relational of public policies that are being deployed and that are presented as collaborative and territorialized. As the article proposes to develop in a second part, this richness is not exclusive of risks of impoverishment inherent on the one hand to the standardization of the survey operations imposed by the comparative perspective and, on the other hand, to the meeting between the scientific comparison and the one that unfolds at the crossroads of the educational domain and public policies. The article thus restores the precautions necessary to deal with these risks.
Key words
Comparative monograph, public policy, territory, education.
Pour citer l’article
Pinsolle, J., Bordiec, S. y Aillères, M. (2021). Des monographies comparées pour comprendre l’education. Vertus et ecueils estimes d’une methodologie de recherche pour l’etude des politiques publiques. Le cas des « Cites Éducatives » en France . Intervención, 11(2), 70-89.
Car, à bien y regarder, la comparaison n’est pas un élément optionnel dans la démarche de ces sciences : elle en est au contraire l’élément fondateur. [...] le comparatisme est nécessaire à leur existence même (Lemieux, 2019:174).
Depuis le printemps 2020, nous sommes engagé·es dans une recherche sur les Cités éducatives (CE). Officiellement instituées en septembre 2019, les CE sont un label éducatif public attribué par trois ministères – Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Éducation nationale ; Ville et logement – à des territoires relevant de la géographie prioritaire de la Politique de la ville (Tissot, 2006). A l’échelon national, les CE sont décrites par leurs maître·sses d'œuvre comme une « démarche » [4]afin de les distinguer des différents dispositifs de l’éducation prioritaire s’étant succédés et entrelacés depuis le début des années 1980 (Rochex, 2018). Elles visent à favoriser la collaboration entre l’ensemble des acteur·ices d’un territoire pour intensifier la prise en charge éducative des « 0-25 ans, avant, pendant, autour et après le cadre scolaire »[5]. Par-delà une communication officielle insistante sur une supposée originalité, les CE s’inscrivent dans des territoires urbains et populaires dans la continuité de l’ « esprit partenarial » de l’action publique contemporaine (Bordiec & Sonnet, 2020). Cet esprit se traduit, en matière éducative, par des préoccupations d’articulation des différentes sphères éducatives (Ben Ayed, 2009). Ainsi, la commande qui cadre cette recherche vise-t-elle, d’après ses mandataires, à « capitaliser » sur l’expérience qui se déploie dans de nouveaux organes spécifiques au « pilotage stratégique » des CE et qui réunissent les représentant·es des différentes institutions. Cette ambition est résumée sous le terme de « gouvernance » par nos commanditaires. La préoccupation de notre collectif de recherche est alors de comprendre comment les CE sont, sur le terrain, gouvernées.
Comment faire pour comprendre cette « gouvernance » ? Au fil des échanges entre scientifiques et avec les commanditaires, le collectif pluridisciplinaire que nous constituons s’est accordé sur la pertinence de réaliser des enquêtes de terrain. D’une part, cette compréhension passe nécessairement par la saisie empirique des actions des protagonistes, de leurs relations et de leurs interactions, ainsi que de celle de la détermination territoriale de ces pratiques. D’autre part, ces opérations de terrain ne sauraient, au risque de déconnecter l’activité sociale produite par la CE dans chaque territoire, être localisées sur un seul site. Cela étant, pour comprendre, il va nous falloir comparer des territoires associés à cette politique publique. Nous voilà dès lors lancé·es dans la réalisation de monographies (Chapoulie, 2017) effectuées, pour éviter un empilement désarticulé d’études de cas (Passeron & Revel, 2005), dans une perspective comparative : sur les 80 Cités éducatives existantes au moment du lancement de la recherche, huit seront enquêtées et comparées.
Telle que définie par Guéranger (2012), la démarche monographique vise « l’étude minutieuse et longitudinale d’un seul cas » (24). Elle est parfois opposée à la démarche comparative : « l’étude de cas unique n’est a priori pas du ressort de la comparaison, dans la mesure où celle-ci consiste dans la mise en regard systématique d’au moins deux termes » (Vigour, 2005:178), dans la mesure où ces deux démarches semblent reposer sur des « orthodoxies » radicalement différentes (Pinson, 2019). Examinée minutieusement, cette opposition apparaît finalement infondée : « Du point de vue du raisonnement scientifique, il n’y a donc aucune différence de nature entre la monographie et la comparaison puisqu’il s’agit fondamentalement… de comparer » (Guéranger, 2012:26) : l’étude d’un seul cas vise toujours à le mettre en perspective avec d’autres cas possibles, ce qui est singulier, observable « ici » et « maintenant » permet d’interroger et de mettre en lumière ce qui se passe dans d’autres espaces et/ou d’autres temporalités plus ou moins proches. L’attention portée au local vise à dépasser celui-ci pour produire un savoir global. Dans cette perspective, il s’agit essentiellement, avec les monographies comparées, de produire des faits dans une perspective qualitative, de construire des études de cas fouillées permettant de « décrire et […] penser chaque situation locale dans son originalité » (Bensa, 2008a:20), « pour saisir la trame complexe des facteurs, des configurations, des représentations, des relations, des données historiques qui constituent une situation » (Pinson, 2019:45).
D’emblée, les vertus scientifiques que nous prêtons, unanimement, à cette manière d’étudier les CE ne sont pas exclusives de réserves. Celles-ci sont à la fois liées à des préoccupations de faisabilité dans les temps impartis et au regard des ressources – humaines, scientifiques, financières – à notre disposition, et à des préoccupations en matière de qualité des matériaux. La comparaison, parce qu’elle implique à la fois une dispersion de nos forces sur plusieurs territoires, des incompréhensions liées à nos ancrages disciplinaires relativement hétérogènes (sciences de l’éducation, sociologie, santé publique, sciences de gestion), des malentendus avec les commanditaires et interlocuteur·ices sur le terrain et, enfin, des modalités de standardisation/homogénéisation des opérations d’enquête, ne renferme-t-elle pas en elle un risque d’appauvrissement empirique et, partant, de l’analyse ? Peser le pour et le contre de ces monographies comparées va être décisif dans la construction de notre objet. C’est précisément ceci qu’il s’agit de travailler : inscrit dans la restitution, plus générale, de notre recherche collective, cette réflexivité méthodologique est potentiellement utile à la compréhension des conditions d’élargissement et d’affinement de la connaissance sur l’action publique éducative territorialisée.
L’analyse de ces processus se décomposera en deux temps. Tout d’abord, il conviendra de mettre au jour les ressorts scientifiques et institutionnels de nos partis pris méthodologiques et leur traduction dans les formes concrètes de l’enquête. Une fois que ces constructions collectives auront été examinées, il sera possible, dans un deuxième temps, d’éclairer la réalisation de cette investigation et les modalités de sa réception par les protagonistes des CE.
Certes, les monographies comparées se sont imposées comme la méthode la plus adéquate pour travailler notre objet de recherche. Mais cette option méthodologique résulte moins d’une routine scientifique que d’une réflexion collective sur le potentiel de cette approche à la fois monographique et comparative à éclairer notre objet. Examinons précisément ici les caractéristiques de cet objet et les opérations empiriques estimées nécessaires à sa compréhension.
Les échanges entre les chercheur·ses et les maître·sses d’œuvre au national des CE qui financent cette recherche s’inscrivent dans le double mouvement décrit par Bezès et al. : ces rencontres « "scientifisent" les demandes administratives et "expertisent" les formulations des chercheurs » (2005:18). Ces échanges permettent de comprendre que ce que nos interlocuteur·ices nomment « gouvernance » relève d’une préoccupation d’analyser « la capacité des services de l’Etat à travailler ensemble » quand ils sont réunis dans de nouveaux organes spécifiques aux CE. Chacune d’entre elle se caractérise par la présence d’une instance de pilotage appelée « Troïka » imposée par le label. Cette instance rassemble, a minima, des représentant·es de la mairie, de l’Education nationale et de la Préfecture. Traduire la demande administrative en objet de recherche nécessite d’insérer la préoccupation de nos interlocteur·ices au sein d’une proposition scientifique attentive aux processus de gouvernement des CE : l’enjeu de connaissance de l’action publique devient enjeu de connaissance dans l’action publique. Il s’agit de prêter attention aux caractéristiques biographiques des protagonistes qui se trouvent en position de diriger une CE – dans le sens de donner des directions qui devront être traduites ensuite par d’autres protagonistes en actions à destination des administré·es. Et il s’agit, dans le même temps, d’être attentif.ves, aux moments où ils et elles se rencontrent, à leurs interactions ainsi qu’à celles qu’ils et elles entretiennent avec d’autres protagonistes directement sous leur responsabilité. Nous nous inscrivons ainsi dans la lignée des travaux de recherche sur les politiques et administrations publiques qui, depuis les années 2000, à l’instar des recherches engagées sur les politiques de jeunesse (Becquet, Loncle & Van de Velde, 2012; Bordiec, 2010; Loncle, 2013), cultivent les vertus d’une analyse configurationnelle de leur construction. Ce mode d’analyse est heuristique pour montrer que les politiques publiques sont irréductibles à des choses dites et faites à l’endroit des administré·es, de surcroît dans le cadre d’institutions qui y sont rattachées et qui, dans le domaine éducatif, s’alimentent d’autres cibles[6]. Les monographies comparées permettent alors de contribuer à la compréhension de l’action publique contemporaine d’éducation par la mise au jour de l’action collective (Dubois, 2009) sur lesquelles elles reposent et/ou qu’elles produisent, par l’étude de celles et ceux qui la font vivre et, enfin, des formes que prend cette activité (espaces, lieu et modalités de l’action, voire parfois de la non-action). Ceci étant, nous demeurons attentif·ves à la façon dont la conjoncture politique définit les objets pertinents tant pour les commanditaires que pour les chercheur·es. Le renforcement de la perspective interinstitutionnelle visé par les CE est un exemple, parmi d’autres, de l’enchâssement entre production de savoirs et volonté politique : la production ici commanditée vise à produire une connaissance ciblée de l’activité sociale des CE (son gouvernement) mais aussi, et peut-être surtout, à faire reconnaitre la nécessité de ces « partenariats ». Outre le fait de répondre à la commande, notre préoccupation se traduit, sur le plan scientifique, par un attachement à analyser les conjonctures politiques et les cadres idéologiques dans lesquels s’inscrivent les CE, à donner la parole aux gouverné·es et à observer des espaces qui ne nous sont pas donnés à voir de prime abord.
Dans un second temps, la portée heuristique des monographies comparées pour l’étude des politiques éducatives se révèle également dans les possibilités qu’elles offrent d’éclairer les discours officiels sur la territorialisation de l’action publique. Les CE sont exemplaires des politiques contemporaines indissociablement nationales et locales, faites de mots d’ordre officiels conçus par les représentant·es de l’Etat central, des usages sociaux de ces orientations et des dispositifs afférents portés par des institutions plus locales. Elles dessinent, en effet, des territoires dans le territoire national : les moyens financiers et matériels[7] alloués dans le cadre de la labellisation CE concernent toujours un ou plusieurs quartiers prioritaires de la ville (QPV) ainsi que plusieurs établissements scolaires appartenant à un réseau d’éducation prioritaire (REP ou REP+). Ces choix de délimitation de la « démarche » forment un territoire administratif autour duquel gravite l’ensemble des actions menées dans le cadre de la Cité éducative. Les directives nationales se caractérisent ainsi par des éléments qui promeuvent l’autonomie des territoires : « Ce concept vise l’autonomisation communautaire (empowerment) de tous les acteurs d’un territoire » (Rapport du CNOE, 2020:8). Les CE sont présentées comme une démarche propice à l’ajustement de l’action éducative aux spécificités locales : « À travers les Cités éducatives, l’État vient soutenir, faciliter et généraliser une dynamique déjà initiée par des acteurs du terrain » peut-on lire sur le site officiel. C’est une forme de « déverticalisation » (pour reprendre le terme employé par les acteur·ices de la gouvernance nationale) qui est visée. Les Cités éducatives apparaissent, en ce sens, comme une expression du « recours au territoire [...] congruent avec les logiques institutionnelles de décentralisation qui l’érigent en catégorie d’action publique, à l’image du "quartier" dans la politique de la ville » (Guéranger, 2012:33‑34). Les monographies comparées s’avèrent, à la fois, à même de rendre compte des possibles expressions localisées du gouvernement des CE et de les mettre en perspective.
La richesse estimée des monographies comparées pour notre collectif repose aussi sur les forces communs qu’elles ont avec les « démarches relationnelles » (Werner & Zimmermann, 2003) : elles visent 1/ l’étude des liens (matérialisés ou projetés) entre différents groupes sociaux (sans oublier que ces liens et groupes sont historiquement situés) ; 2/ la mise en relation de matériaux construits sur différents sites du territoire national permettant une montée en généralité ; 3/ ceci à travers une approche à dominante qualitative où les chercheur·ses sont les principaux producteur·ices de données. Les monographies comparées engagent ainsi une réflexion commune avec celle consacrée à l’histoire croisée :
« les entités ou les objets de recherche ne sont pas seulement considérés les uns par rapport aux autres, mais également les uns à travers les autres, en termes de relations, d’interactions, de circulation » (Werner & Zimmermann, 2003:16)
Dans cette perspective, croiser c’est entrecroiser (les espaces d’observation, les pratiques, les discours, les pistes d’analyse) : il s’agit d’entrelacements produits à plusieurs reprises (pour chaque cas mais aussi entre les cas) selon des temporalités décalées. Ces entrelacements sont potentiellement féconds pour penser à la fois le déploiement d’une politique publique (son histoire, sa nature processuelle), qui plus est présentée comme territorialisée, et rendre compte des « jeux d’échelles » – pour reprendre une expression de Revel (1998) – entre national et local.
Les Cités éducatives sont un label naissant au moment de l’engagement de la recherche[8]. Nous nous sommes donc en quelque sorte retrouvé·es, avec les protagonistes chargé·es de sa mise œuvre localement, à faire un travail, parfois commun, de « démêlage » (pour reprendre le terme de l’une d’entre elles et eux) afin de comprendre les mots d’ordre de la CE et leur mise en œuvre locale. Pour composer avec l’apparente évanescence des CE, deux phases, menées en parallèle, ont permis d’engager la recherche, à savoir, tout d’abord, une approche documentaire et, ensuite, la participation à des temps de travail de l’instance de pilotage d’une CE. L’approche documentaire a consisté en l’appréhension de la littérature grise produite par les maître·sses d'œuvre aux niveaux national et local. Les documents de communication destinés à présenter le label ainsi que les réunions avec la gouvernance nationale permettaient de saisir les orientations souhaitées et portées par le label CE. Par la suite, la participation à des temps de travail (comité de pilotage, réunion plénière et journée « d’appui au développement des Cités éducatives » ayant occasionné la venue d’inspecteur·ices généraux) permettaient d’appréhender, localement, l’expression concrète du label à travers l’analyse des modalités d’appropriation de ces orientations ainsi que de leur déclinaison en actions. Cette première approche empirique des Cités éducatives a permis d’engager la réflexion sur le nombre et la nature des cas que nous souhaitions étudier.
Compte tenu de la contrainte calendaire pesant sur la recherche, nous avons opté pour une démarche intermédiaire entre ce que Béal (2012) nomme la « comparaison implicite » et les « large-n comparisons ». Si ce niveau intermédiaire repose sur plus d’une étude de cas, il ne cherche ni à mettre en œuvre la démarche comparative à travers un nombre élevé de cas, ni à circonscrire des situations présentant sensiblement le même paysage de variables pour tester et isoler le poids de celles utilisées pour décrire une situation. Ainsi,
« dans les monographies comparées, la mise au jour des différences passe rarement par la mise en place de dispositifs d’enquête très formalisés, quantitatifs notamment, visant à isoler les variables permettant d’expliquer les divergences. L’identification de potentielles variables explicatives de divergences procède davantage de la narration parallèle des cas. De la même manière, lorsqu’il s’agit d’expliquer les convergences, il s’agit moins de revenir à la variable qui explique des évolutions similaires dans différentes villes, que d’identifier, là encore dans le récit, ce que Walton a appelé des "analogies causales" » (Pinson, 2019:56)
Néanmoins, une analyse des documents de conventionnement produits par les 80 premières CE a permis de définir les critères minimaux de la comparaison et de s’assurer de la variété des sites investigués. L’analyse s’est traduite par la constitution d’une base de données visant à reprendre les éléments de cadrage, les directions données à la CE par les sites, les modalités de pilotage et, enfin, les financements de la CE. Ces éléments sont synthétisés dans le tableau ci-après :
Tableau 1.
Variables utilisées pour l’analyse des documents cadres des 80 sites labellisés
La variété des instances de pilotage mises en place dans les 80 CE et de leur composition n’a finalement pas permis de transformer ces informations en variables. Mais d’autres variables ont pu être retravaillées : par exemple, le volume du financement alloué à chaque CE – traduit en quartiles – est devenu une variable qualitative. En outre, les objectifs et axes stratégiques mis en avant par les sites dans les conventions ont été catégorisés en une seule variable après avoir été soumis à différentes analyses statistiques (Analyse de Correspondances Principales et Classification Hiérarchique Ascendante). Au final, les analyses statistiques opérées sur ces variables (ACP et CHA) ont fait émerger quatre classes de Cités éducatives :
§ Classe 1 : regroupe les Cités éducatives ayant un nombre restreint d’établissements scolaires comme de QPV, un financement moyen et des axes et objectifs formalisés et poursuivis articulés principalement autour de la réussite scolaire et de l’ouverture culturelle ;
§ Classe 2 : ces Cités Éducatives sont caractérisées par les financements les moins importants, un tissu universitaire et scolaire plus dense et des axes et objectifs portant sur l’insertion et la santé ;
§ Classe 3 : les Cités de cette classe sont caractérisées par le nombre le plus élevé de QPV, avec sur leur territoire, davantage d’écoles maternelles et primaires que la moyenne des CE, des financements importants et des objectifs axés sur la réussite scolaire et l’ouverture culturelle ;
§ Classe 4 : ces Cités sont celles qui bénéficient des plus grands financements et évoquent des objectifs très généralistes.
Sur 80 sites, nous avons fait le choix d’en sélectionner huit (deux sites représentatifs statistiquement par classe). Nous avons par ailleurs tenu compte de leur positionnement géographique en veillant à leur répartition sur le territoire national et en incluant la demande du commanditaire d'intégrer deux CE d’Île de France. En parallèle des premières prises de contact avec les acteur·ices des sites, nous avons procédé à l’analyse de la documentation spécifique à chacun d’eux, à savoir celle mise à disposition par les commanditaires de la recherche et par les protagonistes des sites afin de circonscrire les instances de gouvernement de la CE, d’identifier les protagonistes ainsi que les objectifs priorisés localement. En complément des conventions déjà analysées, nous avons par ailleurs travaillé à identifier à la fois le territoire de chaque CE (inscription des QPV) et l’organisation théorique de la gouvernance (instances de gouvernement de la CE présentées dans la littérature grise et noms des personnes y occupant une place). Les bases de la comparaison ainsi posées, sa mise en œuvre a révélé les risques d’appauvrissement inhérents à la réalisation de monographies comparées, risques vis-à-vis desquels nous nous sommes efforcé·es de rester vigilant·es.
Cette seconde partie revient donc sur les enseignements de la mise en œuvre des monographies comparées. Il s’agit, dans un premier temps, de considérer les risques d’appauvrissement des matériaux que comporte, avec la standardisation des opérations d’enquête, la démarche comparative. Il est alors possible, dans un second temps, de restituer les enjeux de la réception de l’enquête par les protagonistes des CE, les apports potentiels de sa réception et les ajustements qu’elle nécessite pour continuer à ce que la monographie comparée soit une force d’analyse.
L’analyse des conventions a souligné la variabilité des expressions locales des CE en matière du nombre d’administré·es, du nombre de QPV concerné, du nombre d’établissements scolaires, du montant des financements, de la nature des objectifs mis en avant, de la nature des instances de gouvernement, etc. Pour s’assurer des conditions optimales de comparaison, prenant en compte cette variabilité, l’approche déployée s’est traduite par l’identification de ce que les mathématicien·nes appellent le plus petit dénominateur commun. Elle consiste à circonscrire dans le tout que constitue chaque CE la partie commune et indispensable à saisir. S’entendre, au sein du collectif, sur cette trame de choses observables et de choses entendables a alors consisté à standardiser les objectifs de terrain afin de permettre la comparaison entre les cas, opération d’autant plus nécessaire que ces matériaux sont produits par plusieurs chercheur·ses (chaque séjour a été réalisé par un binôme différent, voire un trinôme). Cette standardisation résulte également du temps qui nous était imparti pour mettre en œuvre cette approche comparative, laquelle s’inscrit dans le temps contraint de la commande. La forme de la comparaison dépend, en effet, des conditions de sa mise en œuvre. Si l’approche monographique nécessite, traditionnellement, un engagement de terrain sur le temps long, le temps politique et administratif - du moins dans le cadre d’un financement de la recherche – s’inscrit dans un temps plus court. La standardisation apparaît alors comme une façon d’autoriser ce temps court - par le ciblage a posteriori des opérations d’enquête, standardiser fait fi de la visée exhaustive caractéristique des productions monographiques - sans pour autant renoncer à l’ambition monographique et comparative de l’étude des politiques publiques. La standardisation apparaît donc à la fois comme la condition de la comparaison mais, aussi, dans le cadre des rencontres entre espaces scientifique et espace politique, comme une des manières par lesquelles le politique peut s’attacher à valoriser sa définition de la science :
ceux qui se portent à la tête des grandes bureaucraties scientifiques ne peuvent imposer leur victoire comme victoire de la science que s'ils se montrent capables d'imposer [leur] définition impliquant [...] la bonne manière de faire science (Bourdieu, 1976:90).
Il s’agit d’une science qui se veut « rapide » et « efficace ». Aussi, la réalisation des monographies résulte de séjours de type ethnographique, inspirés des travaux fondateurs de Malinowski (1963) et continuellement revisités depuis (Bensa, 2008b; Laplantine, 2005), mais courts (trois jours pleins) et menés en binôme. La mise en œuvre d’un terrain de recherche à plusieurs présente l’avantage pratique de permettre, dans un temps relativement limité, la rencontre avec un plus grand nombre de protagonistes, la mise en œuvre en parallèle d’observations et d’entretiens ou, encore, la participation à davantage de situations - différentes séquences de la CE pouvant avoir lieu en même temps sur le territoire. Qui plus est, le binôme permet de mettre à profit la pluridisciplinarité et la pluralité des expertises de chacun·e dans la production comme dans l’analyse des données, à travers l’apport de cultures méthodologiques, épistémologiques et théoriques (disciplinaires ou thématiques) variées. Le croisement des points de vue sur une même situation observée et le partage d’informations entre les observations densifie le travail de recherche et soutient la réalisation d’un travail plus réflexif (Geertz, 1998). La réflexivité, présentée comme un exercice individuel dans de nombreux écrits méthodologiques, est ici mise en œuvre collectivement et « à chaud » : les échanges avant, pendant et après le séjour au sein du binôme enrichissent l’analyse. Chaque binôme produit ensuite un document destiné à rendre compte du terrain visité au collectif. Il s’agit de revenir sur la relation enquêteur·ice/enquêté·e, de synthétiser la tonalité générale de ce qui s’est joué dans les différentes scènes (d’observation comme d’entretien), de travailler à circonscrire la spécificité du site observé, de confronter les perceptions de chacun·e sur la CE (décalage ou proximité entre notre perception initiale de la CE et ce que nous pouvons en appréhender sur le terrain). Chaque binôme de terrain a pour objectifs de réaliser des observations et des entretiens dont la nature a été définie collectivement préalablement. Deux types d’observations doivent également être réalisées pendant le séjour : des observations qualifiables d’officielles (réunions de travail) et d’autres plus informelles (présentation du territoire de CE réalisée par un·e des acteur·ices). La standardisation des entretiens a pris la forme, quant à elle, d’un guide d’entretien commun.
Néanmoins, notre volonté de porter un regard « dense » (Geertz, 1998) sur les CE faisant varier le type de matériaux nous a amené à ne pas limiter les opérations d’enquête à cette seule trame de choses observables et entendables. En effet, sur chaque site, cette trame a été complétée par d’autres échanges, plus informels bien que parfois enregistrés, soit avec des acteur·ices désigné·es comme important·es par les membres de la Troïka pour comprendre leur CE, soit que nous allions nous même (re)chercher (les chef·fes de projet, chargé·es de « l’opérationnalisation » de la CE et, celles et ceux désigné·es dans le vocabulaire de la CE comme des « opérateur·ices » ou « partenaires », c’est à dire des personnes en contact direct avec les enfants et/ou les parents). Dans le même ordre d’idées, aux observations officielles (réunion de la Troïka) et déambulatoires (accompagnées sur le territoire), ont pu être associées des observations officieuses : déplacements seul·es dans le territoire, observations d’autres temps de travail d’acteur·ices (qui n’en sont pas les « pilotes ») de la CE, observations d’actions estampillées CE quand elles se tenaient pendant notre séjour. Tout au long de ces opérations, nous sommes resté·es attentif·ves aux personnes qui nous étaient (ou non) présentées, aux endroits vers lesquels nous étions dirigé·es ou ceux dont nous étions éloignés. La mise en œuvre de ces monographies comparées combine donc l’impératif de produire des matériaux communs à tous les cas et celui de saisir la complexité de chaque configuration, faisant de la standardisation des séjours à la fois un impératif et une dimension parmi d’autres d’une méthodologie de recherche laissant la place, dans le recueil de données, aux imprévus et spécificités locales. En ce qui concerne notre préoccupation de tenir compte des habitudes de recherche de chaque chercheur·se engagé·e (tant sur le plan méthodologique que théorique), celle-ci a nécessité une acculturation mutuelle. La construction du guide d’entretien fut ainsi révélatrice de ces différences : alors que certain·es ont l’habitude de s’appuyer sur un guide détaillé, d’autres privilégient un guide très concis où les questions sont a priori rattachées à des concepts clés. Après nous sommes parvenu·es à arrêter des directions communes de recherche, l’intention de parvenir à un guide d’entretien uniformisé et validé par toutes et tous a été remplacée par un objectif d’appropriation réciproque des différentes propositions.
Un autre risque d’appauvrissement inhérent à la mise en œuvre de monographies comparées dans le cadre de l’étude des politiques publiques d’éducation tient à la rencontre, voire à la confrontation, des usages scientifiques de la comparaison et de ses usages administratifs. Cette mise en œuvre s’alimente, en effet, du contexte politique et administratif où elle est accomplie. Or, notre objet – le gouvernement territorialisé de l’éducation – se situe au carrefour du domaine éducatif et de celui des politiques publiques, domaines qui ont tous deux développés leurs propres pratiques comparatives. A partir de nos échanges avec les commanditaires et avec les enquêté·es peut alors s’opérer une standardisation de la standardisation de l’approche comparative. Cette mise en abyme signifie qu’en parallèle de la standardisation des opérations d’enquête comme condition scientifique de la mise en œuvre des monographies comparées, peut opérer une standardisation des manières d’appréhender la comparaison inscrites dans une perspective quantitative et/ou évaluative.
Nos interlocuteur·ices appréhendent ainsi notre approche monographique et comparative « à partir de leur culture administrative » (Bacqué, 2015). Cette culture les conduit à être sensibles à l’idée de comparaison, tout en restant dubitatif·ves quant à la démarche inductive et qualitative que nous avons retenue pour la mettre en œuvre. Certain·es de nos interlocuteur·ices nous expriment alors parfois leurs doutes : « Est-ce que vous pouvez préciser ce que vous entendez par monographie ? Parce que ça a l’air très clair pour vous, ça l’est moins pour moi ». Ou, encore, « Nous on fonctionne par indicateurs, vous allez réaliser les monographies et après quoi ? Quel est l’intérêt ? ». Cette lecture peut se rapporter, comme l’explique Trehin-Lalanne, à une « culture de la comparaison » (2015) chiffrée, développée à partir de la seconde moitié du XXe siècle lorsque l’éducation s’impose comme enjeu politique : après les événements traumatiques des deux guerres mondiales, le contexte international traduit la préoccupation de l’universalisation de l’éducation et une importante réflexion s’engage sur la nécessité de la formation des jeunes générations[9]). Il s’agit alors de mesurer, en les comparant, les performances des différents systèmes éducatifs dans le but de généraliser et d’exporter les systèmes les plus performants. Dans une préoccupation d’outiller la pratique comparative, la mesure par indicateurs s’impose. Selon cette perspective, les chiffres sont des outils « partagés », devant être utilisés par tous et toutes dans un objectif de connaissance (à l’échelle internationale) :
« L’analyse des chiffres occupe désormais une place centrale dans les politiques d’éducation […] La promotion d’une culture de la comparaison dans l’administration de l’éducation passe par différentes formes d’exposition des chiffres […] Dans les discours [...], les chiffres apparaissent comme l’instrument synthétique de cet objectif […] ils "disent la réalité" et attestent, par leurs variations, les efforts politiques pour agir sur elle » (Trehin-Lalanne, 2015:59-60).
Ces comparaisons chiffrées deviennent un outil de pilotage participant à l’évaluation des systèmes éducatifs et à leur mise en concurrence, à la diffusion de « bonnes pratiques », sous-tendant la question de l’efficacité, et à l’uniformisation des façons de penser l’éducation, analysée quantitativement et au prisme de considérations financières. Dans un ajustement certain avec cette conception des usages de la science, nos interlocuteur·ices attendent que nous produisions des chiffres mais aussi des préconisations : ces attentes nous placent largement du côté de l’évaluation. Nous sommes, par exemple, invité·es à présenter la recherche dans un séminaire sur « L’évaluation des Cités éducatives ». Nous sommes régulièrement présenté·es comme des évaluateur·ices lors des opérations de terrain ou, encore, des demandes nous sont adressées afin que l’étude « oriente la pratique ». Ces recadrages de notre action sont significatives de la manière dont les pratiques comparatives, dans le champ des politiques publiques, rejoignent des préoccupations évaluatives (Fontaine, 1996). La comparaison ne se fait plus systématiquement à l’échelle internationale mais aussi à l’échelle locale – comparer ce qu’il se passe dans différents espaces du territoire national – et/ou dans une perspective longitudinale – comparer les diagnostics qui précèdent la mise en place d’une politique publique et suivent sa mise en œuvre. Les pratiques d’évaluation-comparaison et les pratiques chiffrées comparatives se joignent alors dans leur visée utilitariste : la comparaison doit être une aide à la décision, vise l’intervention et devient, de ce fait, « une fonction directe du politique » (Fontaine, 1996:66). Ces pratiques comparatives s’expriment de façon privilégiée à travers une approche statitisco-économique : « on travaille sur des individus moyens, au comportement moyen, sur un espace limité confrontant offre de biens publics et demande » (Fontaine, 1996:66). L’intention est de mesurer l’ « impact » des politiques publiques par la confrontation entre les « résultats » de ces dernières et les « objectifs » qui avaient précédé leur instauration. Enrichir la perspective en mobilisant, par ailleurs, une approche qualitative demeure alors une option marginale : il s’agit essentiellement de recueillir le point de vue des individus (metteur·ses en œuvre ou bénéficiaires) à travers la passation de questionnaires fermés. L’orientation vers une démarche plus qualitative (entretiens traités de façon non quantitative) opère souvent à la marge, et par défaut (Fontaine, 1996:68-69).
Face au risque d’appauvrissement de l’approche comparative structurée autour d’opérations qualitatives, nous avons maintenu une position qui défend la richesse de la démarche qualitative pour penser la mise en œuvre des politiques publiques et sa complémentarité avec les approches quantitatives déjà mises en œuvre dans l’espace administratif. Nous veillons également à ne pas épouser la fonction d’évaluation qui nous est spontanément attribuée, nous inscrivant dans ce qu’Habermas nomme le « système décisionniste » (1973), où les analystes s’en remettent au politique pour prendre des décisions et fixer les orientations de la pratique professionnelle et institutionnelle. Notre objectif n’est en effet pas de produire des savoirs directement exploitables pour « répondre à une question décisionnelle d’ordre pratique » (Maxim & Arnold, 2012:20) mais de permettre une meilleure connaissance des CE et d’objectiver les pratiques et les acteur·ices sur lesquelles elles reposent. De plus, nous ne prêtons intérêt ni à hiérarchiser les pratiques locales, nous écartant ainsi d’une lecture en termes de « bonnes pratiques » à l’œuvre dans le pilotage national des CE, ni à ce que les CE produisent effectivement une activité sociale. Le principal enjeu pour nous est de restituer les conditions dans lesquelles sont placés les protagonistes pour exercer leur activité, nous éloignant de tout parti pris.
En définitive, pendant que nous œuvrons à l’objectivation de la CE, d’aucuns nous estiment en train de procéder à son évaluation. Pendant que nous travaillons à l’analyse de la politique publique, d’aucuns nous appréhendent comme si nous en étions partie intégrante. Reflets des liens entre recherche(s) et politique(s), ces représentations se doivent d’être prises au sérieux : la compréhension de l’éducation territorialisée promue par les « Cités éducatives » est à ce prix.
L’objectif de cet article était de rendre compte de la préparation et de la mise en œuvre (enjeux épistémologiques et méthodologiques ; préalables, précautions et ajustements) de monographies comparées pour l’étude d’une politique publique éducative et ses déclinaisons territoriales : les Cités éducatives.
L’article met en lumière les vertus potentielles de cette méthode pour l’étude de politiques publiques. L’ancrage qualitatif hérité de la tradition monographique permet de déployer une approche processuelle des politiques publiques territorialisées. Cette approche revient à considérer l’histoire dans laquelle elles s’inscrivent (à quelles politiques publiques les CE succèdent-elles ? avec quelles politiques publiques cohabitent-elles ?), mais aussi les protagonistes (et leur caractéristiques biographiques, sociales et professionnelles), les moments, les espaces, les pratiques et les discours qui les font vivre. La dimension comparative s’avère, quant à elle, pertinente pour rendre compte et interroger la territorialisation des politiques publiques éducatives qui promeut l’autonomie des territoires dans le territoire national. La multiplication des cas permet de les considérer les uns par rapport aux autres mais aussi, et peut-être surtout les uns à travers les autres. Multiplier les cas permet de reconstituer le déroulement de l’action publique et d’interroger les effets potentiels de localité ainsi que les rapports entre national et local. Cette pratique comparative est qualifiable d’intermédiaire, puisqu’elle se distingue tout autant des « large-n comparisons » que de la « comparaison implicite » où aucun ensemble de variables n’est retenu pour caractériser les cas. Elle repose, en effet, sur l’identification de caractéristiques minimales, au sens où elles ne peuvent être écartées de l’analyse et permettent de sélectionner des cas permettant d’accéder à des configurations variées. A partir de l’analyse de la littérature grise, l’approche statistique est ici mobilisée comme un outil qui permet de poser les fondations de la comparaison. L’approche statistique est le préalable des pratiques comparatives immersives déployées.
L’objectif comparatiste impose en effet une standardisation des opérations d’enquêtes qui peut être lue comme la mise en œuvre d’une production de matériaux d’emblée restreinte. Pour s’assurer que les terrains ne sont pas appréhendés de façon radicalement dissemblable par les binômes (toujours différents au sein d’un collectif qui plus est pluridisciplinaire) il nous a fallu définir le plus petit dénominateur commun à ces pratiques comparatives. Cette standardisation scientifique rencontre alors d’autres pratiques de standardisation à l’œuvre dans les politiques publiques et le domaine éducatif. La pratique comparative immersive que nous déployons côtoie, en effet, d’autres pratiques de la comparaison au travail dans l’espace politico-administratif, où prévaut une approche de la comparaison à travers des indicateurs quantitatifs, dans une perspective d’évaluation de la performance. Pour éviter cette façon de penser la comparaison (et plus largement la manière de produire des savoirs sur l’activité sociale), les chercheur·ses doivent être à même de défendre la pertinence de leurs approches, et rester vigilant·es. La contribution des sciences sociales à la compréhension, par les protagonistes des politiques publiques, de ce qu’ils font et de ce qu’ils font faire dans les territoires, nécessite de maintenir ce dialogue entre chercheur·ses et « décideur·ses ».
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[1] Enseignante chercheure, Université de Bordeaux, julie.pinsolle@u-bordeaux.fr
[2] Maître de conférences, Université de Bordeaux, sylvain.bordiec@u-bordeaux.fr
[3] Ingénieure d’études, Université de Bordeaux, margaux.ailleres@u-bordeaux.fr
[4] Les termes en italiques et entre guillemets sont des verbatims employés par les acteurs.trices des CE pour décrire l’activité sociale qu’elles sont supposées produire. Ils sont issus d’entretiens avec des protagonistes de la CE ou de la littérature grise sur les CE.
[5] https://www.citeseducatives.fr/
[6] Les « politiques jeunesse » s’alimentent d’autres cibles ainsi que d’autres domaines de l’action publique tels que l’insécurité (Bonelli, 2008), la culture (Faure, Garcia, 2005; Jesu, 2016), la santé (Fassin, 2003), la famille (Lenoir, 2003), l’insertion (Loriol, 2003) et l’éducation (Thin, 2002). Ces domaines peuvent aller jusqu’à, si ce n’est fusionner, du moins s’encastrer.
[7] Les moyens humains associés aux CE restent restreints.
[8] Au moment de la rédaction de la lettre d’intention cadrant cette recherche nationale sur la gouvernance des CE (juillet-septembre 2020), les Cités éducatives n’étaient encore qu’à leurs prémices : une protagoniste locale nous rapportait ainsi : « Et en même temps, la signature quadri-partite a été [effective] le 7 juillet 2020. Donc voilà, il y a quand même un décalage entre la réalité du terrain et l’avancement du projet dans ses instances nationales qui est un peu paradoxal ».
[9] Sur le plan international, l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture) est créé en 1945. Elle lance en 1957 la « course à l’éducation » qui veut que les Etats-membres doivent consacrer 5% de leur PIB aux dépenses de scolarisation et sensibilise à la scolarisation des filles. En 1946 est également créée l’Organisation internationale du travail (OIT) qui investit dans la formation professionnelle. Sur le territoire français, le plan Langevin-Wallon restructure en 1947 le système éducatif.